Jenni Fagan, Les buveurs de lumière, Métailié, 20€
Rares et précieux sont les romans qui dès les premières lignes nous absorbent, qui après quelques pages nous font penser qu’on tient un chef-d’œuvre, qui dès qu’on le ferme nous donnent envie d’en parler à tout le monde et de le faire lire tout autour de nous. Les buveurs de lumière a fait cet effet-là à Olivier, qui me l’a donc fait lire aussitôt, et maintenant nous avons tous deux envie de vous faire partager cet énorme coup de cœur.
Nous serons longtemps encore hantés par Dylan, ce géant barbu et tatoué qui après avoir passé sa vie dans un cinéma d’art et d’essais londonien, hérite d’une caravane au fin fond de l’Écosse, et par ses voisines Constance et Stella – jeune adolescente ex petit garçon – deux personnages d’une force et d’une beauté comparables aux paysages glacés qui envahissent le roman. On n’a qu’une idée : se blottir sous une chaude couverture pour les accompagner et rester près d’eux, encore un peu.
Olivier&Sophie
Denis Robert, Les Rapports humains, Julliard, 19€
Tu commences le livre et tu constates très vite qu’il est à la troisième personne et qu’il n’y a pas de chapitre, tu comprends que Denis Robert parle de lui, de sa femme qui va partir, de son fils qui lui fait la gueule, de ses petites lâchetés, de ses grandes faiblesses et au fur et à mesure que tu plonges dans le livre, tu n’arrives plus à le lâcher. Tout y est, la photo couleur de sa vie qui semble partir un peu de travers et le portrait terrifiant de notre monde qui lui aussi fonce droit dans tu ne sais pas quoi. C’est ça la force de Robert, d’être un journaliste curieux, très curieux et qui sait faire les ponts nécessaires entre, par exemple, le combat du champion du monde de go contre une machine et les conséquences que cela va avoir dans notre économie, du désastre à venir de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans certains milieux (celui des gros cabinets d’avocats par exemple). Avec sa forme si particulière, Les rapports humains est un récit puissant sur la vie, ta vie, la sienne.
Olivier
Lutz Bassmann, Black Village, Verdier, 16€
« Nous avancions sans ouvrir la bouche. Pas un mot, seulement le bruit de nos chaussures écrasant cette surface craquante.
– Je n’ai pas entendu la fin de l’histoire, ai-je bougonné après un moment.
– La fin, a remarqué Myriam. Comme si ça pouvait exister quelque part.
Nous avons continué à marcher, quelques milliers de pas sans doute. Muets tous les trois.
– Ça ne marche pas ce système, a dit Goodmann. Le temps s’interrompt n’importe quand et n’importe comment.
– Les histoires restent, l’a consolé Myriam. Au moins on a leur début en mémoire. »
Sombre, poétique, percutant, plongez-vous dans l’univers de Lutz Bassman, un des hétéronymes d’Antoine Volodine. À découvrir absolument si vous voulez sortir de vos frontières littéraires !
Sophie&Olivier
Jean-Baptiste Andrea, Ma Reine, L’Iconoclaste, 17€
Il s’appelle Shell comme l’enseigne de la station service de ses parents, il ne va plus à l’école et fait le plein comme personne.
Mais cet été 1965, Shell décide de partir faire la guerre, de prouver qu’il est un homme, et fugue sur le plateau de la Vallée de l’Asse. Il tombera nez à nez avec une fille, mais pas n’importe quelle fille, de celle pour qui l’on est prêt à tout. Une reine.
Jean Baptiste Andrea vient de pondre un premier roman d’une très grande force, où toute l’histoire est vue à travers les yeux de ce petit garçon un peu simplet et incroyablement touchant. L’un de mes très gros coups de cœur de la rentrée littéraire.
Olivier
Pierre Ducrozet, L’invention des corps, Actes Sud, 20€
C’est l’histoire d’Alvaro, rescapé des 43 disparus d’Iguala, c’est l’histoire du transhumanisme en marche vers une révolution terrifiante, ça court, ça crie, ça code, ça fonce droit dans le mur de la vie mais faut pas croire tout ce qu’on vous dit…
Olivier&Sophie
Kaouter Adimi, Nos richesses, Seuil, 17€
En 1935, Edmond Charlot a vingt ans et il rentre à Alger avec une seule idée en tête, prendre exemple sur Adrienne Monnier et sa librairie parisienne. Charlot le sait, sa vocation est de choisir, d’accoucher, de choisir de jeunes écrivains de la Méditerranée, sans distinction de langue ou de religion. Placée sous l’égide de Giono, sa minuscule librairie est baptisée Les Vraies Richesses. Et pour inaugurer son catalogue, il publie le premier texte d’un inconnu : Albert Camus. Charlot exulte, ignorant encore que vouer sa vie aux livres, c’est aussi la sacrifier aux aléas de l’infortune. Et à ceux de l’Histoire. Car la révolte gronde en Algérie en cette veille de Seconde Guerre mondiale.
En 2017, Ryad a le même âge que Charlot à ses débuts. Mais lui n’éprouve qu’indifférence pour la littérature. Étudiant à Paris, il est de passage à Alger avec la charge de repeindre une librairie poussiéreuse, où les livres céderont bientôt la place à des beignets. Pourtant, vider ces lieux se révèle étrangement compliquée par la surveillance du vieil Abdallah, le gardien du temple.
Un roman sensible et passionnant, qui se lit d’une traite !
Olivier&Sophie
Cyril Dion, Imago, Actes Sud, 19€
« Nadr habitait au nord de Rafah, quelque part au milieu du champ d’ordures qui faisait face à la mer. Chacune de ses journées commençait au lever du soleil, à l’heure où les premières chaleurs le tiraient du lit. Il se lavait au-dessus du seau, puis se plantait devant l’entrée du petit bâtiment. Devant lui, il posait ses deux seuls livres, qu’il lisait et relisait. L’un de Darwich, l’autre de Rûmî. Vers huit heures commençait le défilé : jeunes, vieux, femmes, enfants. Il les regardait s’agiter dans la poussière et les détritus, le dos bien calé sur son vieux siège de toile. Ce qu’ils appelaient encore « le camp » (mais qui, d’un camp de réfugiés avait progressivement été transformé en quartier sale et délabré) était aux portes de la ville et, dès les premières heures du jour, de petites grappes d’hommes s’en échappaient, quittaient les amas de ferraille et de pierres, les ruelles aux édifices morcelés, les dédales de fils électriques et de canalisations sauvages, pour rejoindre les rues animées du centre. Pas un ne pouvait déloger Nadr de son trône en lambeaux. Il leur criait de foutre le camp et restait assis à contempler le vide, faisant crânement rebondir son couteau dans sa paume. Il ne s’intéressait pas aux informations et se contentait de hocher la tête à celles qu’on lui rapportait d’Al Jazeera, de CNN, d’Euronews, d’Al Arabiya, de la MBC, de la BBC… Autant que possible, il évitait de s’éloigner du quartier. »
Olivier&Sophie
Michel Rio, illustrations Marie Belorgey, Le Chat, l’ankou et le maori, Sabine Wespieser, 15€
Jules Joseph Chamsou est un bon gros chat qui se demande à quoi ressemble le monde et si, comme l’histoire le raconte, tous les lieux se valent. Parti sur les routes et à travers les champs, il va croiser tout un univers étrange et hostile. Un conte philosophique dans la parfaite tradition du genre et magnifié par les illustrations crayonnées dessins rapides et expressifs de Marie Belorgey.
Sophie
Gilles Marchand, Une bouche sans personne, Points, 7,4€
Toutes les nuits, ce comptable au visage toujours dissimulé par une écharpe trouve refuge dans le même bar, avec les mêmes habitués. Un soir, il est obligé de se dévoiler, bouleversant ainsi sa vie et celle de son entourage.
Un roman étrange et poétique, qui nous rappelle avec délectation l’imaginaire de Boris Vian.
Sophie
Yann Verburdh, La neige est de plus en plus noire au Groenland, Quartett, 13€
Une famille se démène, avec chacun ses petits et grands soucis, dans notre société d’hyperconsommation. Une pièce de théâtre caustique et touchante à la fois, qui se lit comme un roman.
Sophie
Luca D’Andrea, L’Essence du mal, Denoël, 21,9€
Jeremiah Salinger, réalisateur de documentaires, vit avec sa femme dans la petite ville de Siebenhoch dans le Tyrol. Une bien belle région pour les randonnées, l’escalade, et le meurtre sanglant de 3 personnes, jamais résolu. Notre héros va s’enticher de ce sordide événement et n’aura de cesse que de vouloir découvrir le meurtrier. Mais dans cette petite ville de haute montagne il ne fait pas bon remuer un passé si nauséabond.
C’est lourd, oppressant, et D’Andrea décrit parfaitement la vie rurale de haute montagne, sa rudesse, ses secrets, les petits arrangements avec les morts et les vivants. Un roman fort et poisseux.
Olivier